11 novembre 2009

Mme de Sévigné, Lettre à Bussy-Rabutin, du 6 août 1675

Pour ma vie, vous la connaissez aussi. On la passe avec cinq ou six amies dont la société plaît, et à mille devoirs à quoi l'on est obligé, et ce n'est pas une petite affaire. Mais ce qui me fâche, c'est qu'en ne faisant rien les jours se passent, et notre pauvre vie est composée de ces jours, et l'on vieillit, et l'on meurt. Je trouve cela bien mauvais. Je trouve la vie trop courte. A peine avons-nous passé la jeunesse que nous nous trouvons dans la vieillesse. Je voudrais qu'on eût cent ans d'assurés, et le reste dans l'incertitude. Ne le voulez-vous pas aussi ? Mais comment pourrions-nous faire ?

03 octobre 2009

Cioran, De l'inconvénient d'être né, VII

L'unique moyen de sauvegarder sa solitude est de blesser tout le monde, en commençant par ceux qu'on aime.

15 septembre 2009

Cioran, De l'inconvénient d'être né, III

Quand il m'arrive d'être occupé, je ne pense pas un instant au "sens" de quoi que ce soit, et encore moins, il va sans dire, de ce que je suis en train de faire. Preuve que le secret de tout réside dans l'acte et non dans l'abstention, cause funeste de la conscience.

26 août 2009

V. Jankélévitch, La mort, I, III, 7

L'impossible - entendez ce qui ne peut et ne pourra jamais être d'aucune manière accompli par l'homme - se ramène le plus souvent à une arrière-volonté clandestine, à la subvolonté de l'échec. L'impossible est une mauvaise volonté travestie en destin. En fait, l'homme intrépide surmonte les impossibilités physiques, dépasse la vitesse du son, s'arrache à l'attraction terrestre, viole l'espace cosmique sans que Dieu châtie le hardi profanateur ; le mur du son n'était donc pas un mur sacré, l'espace cosmique n'était donc pas inviolable ! Dieu ne voit sans doute aucun inconvénient à ce que nous nous posions sur la Lune... si nous le pouvons ! - Dieu n'a jamais non plus interdit à personne de soulager la douleur soi-disant incurable ; ni défendu à personne de soigner les maladies qui peuvent être soignées. Et toutes les maladies peuvent être soignées !

09 août 2009

Stendhal, La Chartreuse de Parme, II, chapitre 24ème

... l'homme qui approche de la cour compromet son bonheur, s'il est heureux, et dans tous les cas, fait dépendre son avenir des intrigues d'une femme de chambre.
D'un autre côté, en Amérique, dans la république, il faut s'ennuyer toute la journée à faire une cour sérieuse aux boutiquiers de la rue, et devenir aussi bête qu'eux ; et là, pas d'Opéra.

01 juillet 2009

Simone Weil, L'Enracinement, III

Aujourd'hui, la science, l'histoire, la politique, l'organisation du travail, la religion même pour autant qu'elle est marquée de la souillure romaine, n'offrent à la pensée des hommes que la force brutale. Telle est notre civilisation. Cet arbre porte les fruits qu'il mérite.

12 juin 2009

Simone Weil, L'Enracinement, III

Amour de la vérité est une expression impropre. La vérité n'est pas un objet d'amour. Elle n'est pas un objet. Ce qu'on aime, c'est quelque chose qui existe, que l'on pense, et qui par là peut être occasion de vérité ou d'erreur. Une vérité est toujours la vérité de quelque chose. La vérité est l'éclat de la réalité. L'objet de l'amour n'est pas la vérité, mais la réalité. Désirer la vérité, c'est désirer un contact direct avec de la réalité. Désirer un contact avec une réalité, c'est l'aimer. On ne désire la vérité que pour aimer dans la vérité. On désire connaître la vérité de ce qu'on aime. Au lieu de parler de l'amour de la vérité, il vaut mieux parler d'un esprit de vérité dans l'amour.

05 juin 2009

F. Rosenzweig, L'étoile de la rédemption, III, introduction, liturgie et gestualité

Il n'y a pas de monde sans parole ; bien plus, le monde n'existe que dans la parole, et sans la parole, le monde ne serait pas.

01 mai 2009

F. Rosenzweig, L'étoile de la rédemption, II, 2, le Révélateur, l'amant

Seul l'amour de l'amant et cette autodonation à chaque instant recommencée, seul cet amour s'offre dans l'amour. L'aimée accueille l'offrande ; mais en accueillant, elle reste auprès de soi, et elle devient totale sérénité et âme en soi bienheureuse. Mais l'amant... De haute lutte, il arrache son amour au tronc de son Soi, de même que l'arbre s'arrache à ses rameaux, et que chaque branche se détache du tronc, oubliant tout de lui et le reniant ; mais l'arbre est là, dans la munificence de ses branches, qui lui appartiennent, dussent-elles toutes le nier ; il ne les a pas laissées en liberté ; il ne les a pas faites tomber au sol comme des fruits mûrs ; chaque rameau est son rameau tout en étant absolument rameau en soi, surgi en son lieu propre et propre à lui seul, lié durablement à ce lieu. De même, l'amour de l'amant s'est implanté dans l'instant de son origine, et parce qu'il est là, il doit nier tous les autres instants, il doit nier l'ensemble de la vie ; dans son essence il est infidèle, car son essence, c'est l'instant ; aussi doit-il, pour être fidèle, se renouveler à chaque instant, tout instant doit devenir à ses yeux le premier regard de l'amour. C'est seulement à travers cette totalité à chaque instant présente qu'il peut s'emparer de l'ensemble d'une vie créée, mais à travers elle, il le peut aussi réellement ; il le peut en traversant d'un sens sans cesse nouveau cet ensemble et en jetant ses rayons et sa vie tantôt dans cette réalité singulière, tantôt dans telle autre : c'est un cours des choses qui recommence tous les jours, et il n'est pas nécessaire qu'il ait une fin ; à chaque instant, du fait qu'il y est totalement présent, il croit être parvenu au degré qui n'en connaît point de supérieur - et pourtant, chaque jour lui réapprend qu'il n'a jamais aimé autant qu'aujourd'hui la part de vie qu'il aime ; chaque jour, l'amour aime un peu plus ce qu'il aime. Ce perpétuel accroissement est la forme de la permanence dans l'amour, du fait que et parce qu'il est la plus extrême non-permanence et que sa fidélité n'est vouée qu'à l'instant présent et singulier : de la plus profonde infidélité, et à partir d'elle uniquement, il peut donc passer à la fidélité permanente ; car seule la non-permanence de l'instant le rend capable de revivre tout instant comme neuf et de porter ainsi le flambeau de l'amour à travers tout le royaume nocturne et crépusculaire de la vie créée. L'amour s'accroît parce qu'il ne veut pas cesser d'être neuf ; il veut être toujours nouveau pour pouvoir être permanent ; il ne peut être permanent qu'en vivant totalement dans le non-permanent, dans l'instant, et il faut qu'il soit permanent pour que l'amant ne soit pas seulement le porteur vide d'une éphémère émotion, mais âme vivante.

21 mars 2009

Nietzsche, Humain, trop humain, VIII, §481

On peut finalement se poser la question : en vaut-elle la peine, cette superbe floraison d'ensemble [ - qui assure à un peuple une grande politique et une voix prépondérante parmi les Etats les plus puissants - ] (qui, à vrai dire, ne se manifeste que dans la peur inspirée aux autres Etats par le nouveau colosse et dans une clause arrachée aux pays étrangers pour favoriser la prospérité du commerce et des échanges nationaux), s'il faut, à cette fleur grossière et bariolée de la nation, sacrifier toutes les plantes et toutes les pousses les plus nobles, plus délicates, plus spirituelles, dont le terroir était jusqu'alors si riche ?

15 mars 2009

Victor Hugo, Ruy Blas, acte premier, scène 2

De vos bienfaits je n'aurai nulle envie,
Tant que je trouverai, vivant ma libre vie,
Aux fontaines de l'eau, dans les champs le grand air,
A la ville un voleur m'habille l'hiver,
Dans mon âme l'oubli des prospérités mortes,
Et devant vos palais, monsieur, de larges portes
Où je puis, à midi, sans souci du réveil,
Dormir, la tête à l'ombre et les pieds au soleil !
- Adieu donc. - De nous deux Dieu sait quel est le juste.
Avec les gens de cour, vos pareils, don Salluste,
Je vous laisse, et je reste avec mes chenapans.
Je vis avec les loups, non avec les serpents.