30 janvier 2006

Descartes, les passions de l'âme, III, art. 153

Ainsi je crois que la vraie générosité, qui fait qu'un homme s'estime au plus haut point qu'il se peut légitimement estimer, consiste seulement partie en ce qu'il connaît qu'il n'y a rien qui véritablement lui appartienne que cette libre disposition de ses volontés, ni pourquoi il doive être loué ou blâmé sinon pour ce qu'il en use bien ou mal ; et partie en ce qu'il sent en soi-même une ferme et constante résolution d'en bien user, c'est-à-dire de ne manquer jamais de volonté pour entreprendre et exécuter toutes les choses qu'il jugera être les meilleures. Ce qui est suivre parfaitement la vertu.

23 janvier 2006

F. Alquié, Descartes - l'homme et l'oeuvre, III

Les historiens de la philosophie, étudiant des doctrines plutôt que des hommes, des idées plutôt que des pensées, attachent en général peu d'importance à la démarche par laquelle on devient philosophe. Cette démarche paraît, chez eux, aller de soi, et chaque penseur trouve place en une histoire où, par une sorte de filiation continue, les doctrines engendrent les doctrines. Pourtant, rien n'est moins naturel que d'être philosophe, et sans doute nul métaphysicien n'eut-il jamais l'impression de se situer en une histoire de la pensée, de succéder à d'autres comme, en quelque entreprise, un fils peut remplacer son père. Les philosophes ne naissent point philosophes. L'histoire où d'abord ils sont pris n'est pas celle de la philosophie, mais celle de leur nation, de leur famille, celle aussi des croyances et de la science de leur temps, et c'est précisément en rompant avec cette histoire qu'ils découvrent la philosophie : aussi ont-ils souvent l'illusion d'inventer ce qu'en fait ils retrouvent. Il faudrait donc comprendre d'abord, en un philosophe, la nature de cette étrange vocation qui, même si elle l'insère, malgré lui, en une tradition que souvent il ignore, le condamne, en fait, à la solitude. La rupture de Descartes avec ses professeurs, avec sa famille, avec son pays, et sa solitude en Hollande ne sont-elles pas, en effet, les signes de la solitude de sa pensée, et de cette rupture essentielle par laquelle il a choisi d'être philosophe ?

17 janvier 2006

Spinoza, Traité de la réforme de l'entendement, §3 (Appuhn)

A quelle sorte d'objet sommes-nous attachés par l'amour ? Pour un objet qui n'est pas aimé, il ne naîtra point de querelle ; nous serons sans tristesse s'il vient à périr, sans envie s'il tombe en la possession d'un autre ; sans crainte, sans haine, et, pour le dire d'un mot, sans trouble de l'âme ; toutes ces passions sont, au contraire, notre partage quand nous aimons de choses périssables, comme toutes celles dont nous venons de parler [sc. plaisirs, richesses, honneurs]. Mais l'amour allant à une chose éternelle et infinie repaît l'âme d'une joie pure, d'une joie exempte de toute tristesse ; bien grandement désirable et méritant qu'on le cherche de toutes ses forces. [...Toutefois,] si clairement en effet que mon esprit perçût ce qui précède, je ne pouvais encore me détacher entièrement des biens matériels, des plaisirs et de la gloire [qui ne sont pas méprisables, si mesurés, en tant que moyens de favoriser l'accès au bien grandement désirable].