23 janvier 2006

F. Alquié, Descartes - l'homme et l'oeuvre, III

Les historiens de la philosophie, étudiant des doctrines plutôt que des hommes, des idées plutôt que des pensées, attachent en général peu d'importance à la démarche par laquelle on devient philosophe. Cette démarche paraît, chez eux, aller de soi, et chaque penseur trouve place en une histoire où, par une sorte de filiation continue, les doctrines engendrent les doctrines. Pourtant, rien n'est moins naturel que d'être philosophe, et sans doute nul métaphysicien n'eut-il jamais l'impression de se situer en une histoire de la pensée, de succéder à d'autres comme, en quelque entreprise, un fils peut remplacer son père. Les philosophes ne naissent point philosophes. L'histoire où d'abord ils sont pris n'est pas celle de la philosophie, mais celle de leur nation, de leur famille, celle aussi des croyances et de la science de leur temps, et c'est précisément en rompant avec cette histoire qu'ils découvrent la philosophie : aussi ont-ils souvent l'illusion d'inventer ce qu'en fait ils retrouvent. Il faudrait donc comprendre d'abord, en un philosophe, la nature de cette étrange vocation qui, même si elle l'insère, malgré lui, en une tradition que souvent il ignore, le condamne, en fait, à la solitude. La rupture de Descartes avec ses professeurs, avec sa famille, avec son pays, et sa solitude en Hollande ne sont-elles pas, en effet, les signes de la solitude de sa pensée, et de cette rupture essentielle par laquelle il a choisi d'être philosophe ?

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