04 mars 2013

Albert Cohen, Ô vous, frères humains, vi

... tout en clamant depuis des siècles leur amour du prochain, tout en s'en délicieusement gargarisant, ces singes vêtus continuent à adorer la force sous tous ses masques, l'horrible force qui est la capacité de nuire et dont l'ultime racine et sanction est l'antique et auguste pouvoir de tuer, et ces carnassiers adorent la guerre qui leur est exaltante et sacrée, et ils en parlent avec pompe et respect, et ils se rengorgent de leurs batailles et de leurs victoires militaires dont ils suçotent les chères dates, et ils admirent et adorent leurs héros et grands meurtriers, leurs conquérants, leurs dictateurs, leurs maréchaux et amiraux, compétents tueurs entourés de révérence, et tout en jouant à aimer leur prochain, ils continuent à haïr, et déjà sur les murs d'Aix-en-Provence, en l'an de grâce mil neuf cent soixante-dix, ont été inscrites ces nobles paroles Que crève la charogne juive et que revienne l'heureux temps du génocide ! Ô amour du prochain.